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12 novembre 2014 3 12 /11 /novembre /2014 17:47

TU ES NE POUR LE BONHEUR (3/16)

 

CHAPITRE II AIMER - CONNAITRE – SENTIR  (Première partie)

Le plus grand reproche que l'on puisse faire à notre époque, c'est d'assombrir la vie des hom­mes. Or, hélas, ce sont eux-mêmes qui, de toutes pièces, l'ont faite telle qu'elle est, cette époque : ils ont fabriqué leur malheur, ne voulant plus vivre en accord avec leur propre nature.

 

Je vais essayer de mettre en lumière la struc­ture hiérarchique de la nature humaine : aimer d'abord, connaître ensuite, sentir enfin. Tels sont les paliers de la nature humaine : ils ne se trouvent pas au même niveau mais, comme les marches d'un escalier, en hauteur. La nature humaine est verticale : à son sommet, la faculté d'aimer ; elle se manifeste, en sa pureté, par la vie religieuse, la faculté de « relier » l'homme à sa Source et les hommes entre eux. Puis la faculté intellectuelle, qui a son bas niveau incar­né, est la raison discursive : faculté qui tient le milieu. Et enfin, à la base, la faculté de s'émou­voir et sentir, la vie animalo  végétative.

 

Mais, comme il ne s'agit pas de choses maté­rielles qui s'excluent les unes les autres, ces paliers ne sont pas séparés, ils s'entre pénètrent : on ne saurait aimer sans connaître ni connaître sans avoir d'abord senti. Mais ce « d'abord » ne confère pas à la faculté de sentir — comme Condillac, Hume et tant d'autres l'ont cru — la pre­mière place : elle n'est qu'une condition et non une causeLa « cause » est dans la prodigieuse faculté d'aimer, dans le pouvoir de s'identifier en esprit à autre chose que soi. Échelonnés dans l'ordre de leurs valeurs hiérarchiques, il y a donc d'abord l'amour, puis la connaissance et enfin la sensibilité : triple essence de la nature humaine.

 

Réalité objective. Il ne dépend pas de notre volonté qu'elle soit ou ne soit pas. Ce que notre volonté peut faire, c'est de déranger la hiérarchie naturelle ou de s'y conformer.

 

Cette structure est commune à tous les hom­mes. Mais elle s'accomplit dans l'existence de chaque homme de manières différentes.

 

L'aberration de l'existentialisme est de croire que l'homme crée son essence, lorsque, en fait,elle est donnée d'avance. Il ne la crée pas plus que la violette ne crée sa forme : elle est en son germe et ne fait que l'épanouirLa seule diffé­rence c'est que l'homme peut modifier l'agence­ment intérieur de son essence. Par sa libre volonté.

 

Par conséquent, si sur le plan de l'essence — réalité immuable — il ne saurait s'agir de varia­tions, sur le plan de l'existence les hommes ne présentent pas la même stabilité.

 

La hiérarchie aimer connaître sentir varie donc dans l'existence, non seulement d'un homme à l'autre, mais dans le même homme au cours de sa vie. Mobilité effarante due à la liberté des humains...

 

                                                            ***

 

En premier lieula hiérarchie de la nature humaine se développe au cours de l'existence en sens inverse.  (Selon l'adage scolastique, seul valable pour tontes les évolutions dans le temps : « Le premier dans l'inten­tion est le dernier dans l'exécution ».)

 

L'enfance est dominée par la sensibilité et la vie animalo végétative ; la jeu­nesse, par les acquisitions de la connaissance ; la maturité, par l'amour, la possession de soi et le don de soi :l'une, d'ailleurs, ne va pas sans l'autre.

 

A l'époque où nous vivons, le grand nombre s'arrête à l'état de l'enfance. Il s'arrête donc à l'état où la hiérarchie est renversée. Ne fait-on pas tout pour surexciter l'infantilisme sensuel ? Ne nie-t-on pas le palier suprême de l'humain ? Dans le monde actuel neuf hommes sur dix n'arrivent pas à la vraie maturité, c'est-à-dire à réaliser leur essence de haut en bas avec sa hiérarchie naturelle.

 

A ce point de vue, les hommes ont perdu en qualité ce qu'ils ont gagné en quantité : ils vivent plus longtemps (50.ans de moyenne ; au moyen âge : 30 ans), mais ils arrivent plus difficilement à l'épanouissement complet de leurs âmes. D'où la raréfaction des génies, des Pascal, des Dante, des Shakespeare Humanité larvaire dont l'aspect technique n'est qu'un leurre et le progrès moral une illusion. (C'est sans doute pourquoi on ne parle aujourd'hui que « d'humanité adulte », de « peuples devenus ma­jeurs », etc...)

 

Autrefois, en effet, on vivait moins, mais on mûrissait plus vite : à quinze ans on était un homme. (Cela parce que le christianisme avait le goût de la virilité et n'aimait pas la facilité ; il conseillait « la porte étroite ». Le Christ n'hésitait pas à demander de l'héroïsme : « Qui perd sa vie à cause de moi la sauve »... « Abandonne tout et suis-moi », etc... L'ancien régime avait du nerf, l'actuel a des nerfs...)

 

C'est à trente ans que la civilisation moderne permet à l'homme de s'approcher de l'âge viril, — et encore ! On sait, par exemple, que les Américains restent toujours de grands enfants. Et les Français laïcisés qui raffolent du ballon ? Le stade n'est-il pas la cathédrale du monde moderne ? Les foules puériles ne commu­nient-elles pas en leurs dieux adorés : les vedettes du Muscle ?

 

On sait aussi que le désir se lève bien avant que l'amour apparaisse. C'est l'âge de la puberté. D'où la sexolâtrie d'une humanité arrêtée dans son développement.  (Cette sexolâtrie s'est développée selon un plan arrêté : « Popularisons le vice dans les multitudes ; qu'elles le respirent par les cinq sens... Faites des cœurs vicieux et vous n'aurez plus de catholiques».) (L'Église Romaine face à la Révolution, p. 148. Ouvrage que Pie IX demanda à Crétineau-Joly).

 

Et l'art moderne ? Une diarrhée infantile. Un art de pouponnière. N'est-il pas vrai pour le faux primitivisme et les balbutiements ridicules de la peinture abstraite, pour les cacophonies vagissantes de la musique, pour les caricatures de marmots de la sculpture, pour les obscénités inconscientes de la littérature ? Et que l'on n'y cherche point, bien sûr, la pureté de l'innocence, mais ce qu'il y a dans l'« âge ingrat » de bêtichon, de maladroit, d'animal, de barbare et de cruel...

 

Les peuples sont comme on les fait : si les peuples occidentaux ne se préoccupent que de bien boire, bien manger et se distraire — à nous les « week-end », les « cocktails », les cinémas ! — c'est parce qu'ils sont stoppés au stade animalo- végétatif par une société qui a renversé la hiérarchie de la nature humaine et empêche l'homme d'acquérir sa véritable taille. Le ventre et le bas-ventre, d'abord. L'âme, l'esprit, Dieu ? Des « superstructures » illusoires et dépassées ! C'est là une première ébauche, je ne cherche pas ici à traiter complètement cette question d'une humanité « demeurée ».

 

Ce n'est pas que les hommes aient changé ; qu'ils soient devenus plus mauvais ; mais leurs bas instincts sont encouragés par l'idéologie laïco démocratique, laquelle a détruit l'armature qui jadis les soutenait, les aidait à lutter et à s'élever. Au moyen âge il y avait des tares, des abus et des vices, mais rien n'était perdu parce que la Croix restait debout, l'ordre de la nature humaine respectéOn pouvait toujours retrouver la paix de l'âme parce que la société n'avait pas quitté le Vrai. Ce qui est grave aujourd'hui, c'est la perversion des principes, la proclamation solennelle de l'ErreurLes tares, les abus et les vices trouvent leur vigueur dans les doctrines officielles.

 

« De la forme donnée à la société découle le bien ou le mal des âmes », disait Pie XII... En vérité, la société, en freinant le mal, vise le bien.

 

Le mal d'une époque ne m'indigne pas. Ce qui me navre aujourd'hui c'est qu'il n'a plus de poids compensateur ; le monde est le même, mais en un monde sans religion le mal fait basculer la cité.

 

La civilisation chrétienne invitait la liberté humaine à collaborer à l'ordre du monde ; la Révolution ne l'incite qu'à le détruire ; et il ne s'agit pas de ruiner un quelconque « ordre éta­bli», mais tout l'ordre de la création, et la mis­sion de l'homme dans la création !

 

Si l'on crevait le paravent d'hypocrisie der­rière lequel se cache la démocratie, on verrait son visage grimaçant qui doit ressembler, comme deux gouttes d'eau, à celui de l'Ennemi de l'homme.

 

Ce n'est pas là une crise passagèreC'est l'effondrement définitif d'une doctrine qui a dégradé la nature humaine, qui a changé le sang en boue. Tout est boue aujourd'hui, des fonda­tions au faîte ! Tout s'embourbe ! Nous voyons s'effondrer dans la fange l'inversion de la nature humaine — sentir, connaître, aimer ! — qui, partie de la Renaissance, reçut sa consécration à la Révolution. Un fleuve empoisonné à sa source, qui a infecté tout sur son parcours !

 

Il faut chercher le mal à sa racine. Sans cela on ne comprend rien à la disparition de la joie de vivre sur cette terre.

 

Mais alors il existe une relation entre l'er­reur (Je retarde : il n'y a pas d'erreur et de vérité ni de bien et de mal ; la fleur ne se distingue pas de la feuille, ni la feuille de la racine, ni la racine du fumier qui la nourrit : le fumier vaut la fleur... tout se vaut, tout est indifférent !... je m'excuse...) et le malheur ; et une autre entre la vérité et le bonheur.

 

Nous le verrons mieux tout à l'heure ; il me suffit de dire ici que la route des hommes, qui grimpe sur une mon­tagne, est semée de signaux. (Le but de cette route est le salut des âmes — « jusqu'à ce que le nombre des élus soit complet » — et non pas, comme on le croit aujourd'hui,l'achèvement d'un régime économique parfait ! En réduisant le sens de l'histoire au temporel, on annihile le temporel lui-même, on l'aplatit et on le vide de sa substance. La Jé­rusalem terrestre n'est pas l'achèvement de l'histoire, mais son retour à la Jérusalem céleste. La Technique, quand elle est poursuivie comme but unique ruine à la fois l'existence même, ici-bas, et l'éternité de là-haut.)

 

Ces signaux rouges et verts — souffrances et joies — ce ne sont pas les hommes qui les ont fabriqués ! Ils indiquent les précipices de la montagne ou la voie ouverte pour monter toujours plus haut...

 

L'expérience prouve — et ce sera le sujet du chapitre suivant — que toutes les positions aberrantes, infidèles à l'ordre de l'essence humaine, entraînent un état de malaise qui peut aller jusqu'aux souffrances indicibles du déses­poir.

 

Les philosophes modernes en font grand cas : ils ne parlent que d'« angoisse » et de « nausée ». Bien sûr, ils ne savent pas ce qu'ils représentent, ces signaux, — et s'ils sont même des signaux !

 

Car ils le sont, ces avertissements qui nous arrivent du tréfonds de la conscience (de l'Essence même qu'ils nient !) et qui nous dit : « Qu'as-tu fait de moi ? » Dans le langage mystérieux de la Souffrance — car elle respecte notre liberté — elle insiste : « Qu'as-tu fait de ton bonheur ? »

 

A SUIVRE

 

[Extrait de : TU ES NÉ POUR LE BONHEUR   Œuvre de Paul Scortesco  (1960)]

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